Le texte mis en musique par Monteverdi est composé des deux premiers quatrains du sonnet 164 du Canzoniere de Pétrarque (1304-1374). Le « h » étymologique du début est un fait seulement graphique (il ne doit pas être aspiré). Voici une traduction littérale du sonnet:


Francesco Petrarca, Rerum Vulgarium Fragmenta, 164 :

Or che ‘l ciel e la terra e ‘l vento tace
Maintenant que le vent se tait, et le ciel et la terre,
E le fere e gli augelli il sonno affrena,
que le sommeil retient les oiseaux et les fauves,
notte il carro stellato in giro mena
que la nuit mène alentour son char étoilé,
e nel suo letto il mar senz’onda giace;
tandis que dans son lit dort (se gît) sans vagues la mer ;

vegghio, penso, ardo, piango, e chi mi sface
je veille, pense, brûle, pleure ; et qui me tue (me défait)

sempre m’è inanzi per mia dolce pena:
est toujours devant moi, pour ma suave peine :
guerra è ‘l mio stato, d’ira e di duol piena,
la guerre est mon état, emplie d’ire et de deuil,

e sol di lei pensando ho qualche pace.
Et je n’ai quelque paix que si je pense à elle.

Così sol d’una chiara fonte viva
Et seulement de cette vive et claire source

move ‘l dolce e l’amaro ond’io mi pasco;
vient le doux et l’amer dont je fais ma pâture ;

una man sola mi risana e punge;
une main seulement me guérit et me blesse ;

e perché ‘l mio martir non giunga a riva,
et pour que mon martyre au port n’arrive pas,
mille volte il dí moro e mille nasco:
mille fois chaque jour, je meurs et je renais,
tanto da la salute mia son lunge!
à tel point je suis éloigné de mon salut.


Ce texte de Pétrarque avait déjà été mis en musique plusieurs fois, avant Monteverdi. Une étude récente (2006) de Barbara Cipollone a reconstruit l’histoire de cette « tradition musicale », qui de la frottola de Bartolomeo Tromboncino (1516, avec l’« intavolatura » pour orgue de Andrea Antico, 1517), passe par les madrigaux de Arcadelt (1539, 1541, 1543), Cipriano de Rore (1542, 1544, 1562), Francesco Menta (1560), Stefano Rossetti (1560), Francesco Adriani (1568), Ippolito Camaterò (1569), Filippo di Monte (1576), Orazio Vecchi (1604), Sigismondo d’India (1618), avant d’arriver au livre VIII des Madrigali guerrieri e amorosi (1638) de Monteverdi. Mais nous pouvons également rappeler, dans les reprises après Monteverdi, le lied Nunmehr, da Himmel, Erde schweigt und Winde (1818) de Schubert (D630), qui utilise une traduction allemande due au poète J. Diederich Gries (sur les lieder de Schubert inspirés par Pétrarque, voir l’étude de Mariateresa Dellabora citée en bibliographie).


Pétrarque se rappelle sûrement de Virgile, qui oppose, dans le livre VI de Énéide (v. 322-331), le calme de la nuit aux angoisses de la veille de Didon, mais pousse plus loin sa réflexion sur une condition existentielle contradictoire et dramatique. Loin du port du salut, le poète est agité par une « guerre » intérieure continuelle, dont il ne voit pas l’issue.


La préface de l’auteur au livre VIII des Madrigali guerrieri e amorosi a pour référence centrale l’art oratoire. Monteverdi remarque qu’aux trois registres stylistiques liés aux affections de l’Ire, de la Tempérance et de l’Humilité (ou Supplication) ne correspondent pas trois genres de musique, mais seulement le genre « temperato » (« tempéré », lié à la Tempérance) et le genre « molle » (« doux », lié à l’Humilité ou Supplication). Il propose donc, dans le Madrigali guerrieri (qui forment la première moitié du livre VIII), un nouveau genre, le « stile concitato », adapté à la représentation musicale des affections d’ire et de guerre.


Dans cette section des Madrigali guerrieri (parmi lesquels nous trouvons le célèbre Combattimento di Tandredi e di Clorinda), nous trouvons aussi notre madrigal, en raison de l’affirmation du vers 7 « guerra è ‘l mio stato ». En réalité Monteverdi est très libre, dans les deux sections, dans le jeu de l’alternance, et souvent de l’opposition, entre le genre « molle » et le genre « concitato » (se désintéressant, dans les faits, du genre « temperato »). Dans notre madrigal nous avons même leur emploi simultané, quand les ténors chantent sur un ton « molle » le vers 6 (« e chi mi sface Sempre m’è innanzi… ») tandis que les autres voix crient en quintes et en octaves parallèles le vers 5 (« veglio, penso, ardo, piango »). L’opposition continue entre le « concitato » du vers 7 et les accords tranquilles du dernier vers du madrigal.


Bibliographie sélective :


P. Fabbri, Monteverdi, Torino, EDT, 1985.


M. Dellaborra, « Petrarca intonato da Schubert : i tre Lieder D 628-630 (con qualche considerazione sulla restante produzione ‘italiana’) », dans Petrarca in musica. Atti del convegno Internazionale di Studi di Arezzo (Arezzo, 18-20 marzo 2004), a cura di A. Chegai e C. Luzzi, Lucca, LIM, 2005, pp. 435-453.


B. Cipollone, « La tradizione musicale del sonetto ‘Or che ‘l ciel et la terra’: Arcadelt, Rore, Monte, dans Petrarca e i compositori fiamminghi / Petrarch and the Flemish Composers, Convegno internazionale intorno al progetto europeo Gli archivi digitali per la salvaguardia del patrimonio musicale europeo / International congress in the framework of the European project Digital Archives for the Safeguard of European Musical Heritage, Roma, Academia Belgica, 7-9 settembre 2006 (le texte de cette intervention est lisible dans : http://www.unisi.it/tdtc/petrarca/).

Luca Badini Confalonieri