Le texte est de Robert de Montesquiou-Fezensac (1855-1921), ami de Proust et auteur, entre autres choses, de plusieurs recueils de vers (Les chauve-souris, Richard, 1892; Le chef des odeurs suaves, Richard, 1893; Le parcours du rêve au souvenir, Charpentier et Fasquelle, 1895; Les hortensias bleus, Charpentier et Fasquelle, 1896; Les perles rouges, Charpentier et Fasquelle, 1899; Les paons, Charpentier et Fasquelle, 1901; Prières de tous, Maison du livre, 1902; Les offrandes blessées, Sansot, 1915; Nouvelles offrandes blessées, Maison du livre, 1915; Sabliers et lacrymatoires, Sansot, 1917; Les quarante bergères: portraits satiriques en vers inédits, frontespice de Aubrey Beardsley, Librairie de France, 1925).

« Maître de beauté pour une génération intière », selon l’avis de Proust, il inspira le personnage de Des Esseintes dans A rebours (1885) de Huysmans, monsieur de Phocas dans le roman du même nom de Jean Lorrain (1901) et également (avec le baron Jacques Doasan) le baron de Charlus dans la Recherche. Un portrait de Robert de Montesquiou, œuvre du peintre italien Giovanni Boldini, est au Musée d’Orsay. Il était cousin de la comtesse Elisabeth Greffulhe (Elisabeth de Caraman-Chimay, épouse du comte Henry Greffulhe), immortalisée par Proust dans le personnage de la duchesse de Guermantes (de la belle comtesse nous avons un portrait célèbre réalisé par Philippe de Laszlo et un autre dû à Jacques-Émile Blanche). La comtesse, sous conseil de Montesquiou, protégeait Fauré et lui avait confié, en 1887, l’organisation, tous les 15 jours, dans son somptueux palais parisien de la rue d’Astorg, de soirées musicales « courtes, pas trop sérieuses, mais très artistiques ! » (lettre inédite de Fauré à Fanny Lépine). Invité par la comtesse à séjourner, pendant l’été 1887, dans sa maison « La Case » à Dieppe, Fauré lui dédicacera, en remerciement, la Pavane op. 50.

Les noms des personnages de la Pavane (Lindor, Tircis, Myrtil, Lydé, Eglé, Chloé) sont tous typiques de la tradition de la poésie pastorale. Le poète les utilise pour méditer sur l’éternelle comédie (tragédie ?) de l’amour, avec une fine attention aux jeux des correspondances entre parole et musique (« Faites attention! Observez la mesure! … La cadence est moins lente! Et la chute plus sûre! »). Le ton triste et mélancolique de la pavane, une danse au rythme binaire diffusée au XVIe siècle (ici dans une des premières reprises modernes : la Pavane pour une infante défunte de l’élève de Fauré Maurice Ravel est de 1899), souligne l’atmosphère de défaite morale de la raison, soumise à une attraction qui se révèle éphémère (« c’est tous nos vainqueurs ») et, en même temps, la triste décision de prendre congé de l’amour (« Adieu Myrtil! Eglé! Chloé! démons moqueurs! »). Le fait que le « bons jours ! » l’emporte sur l’« Adieu ! » indique pourtant que l’illusion trompeuse de l’amour continuera à régner.


C’est Lindor! c’est Tircis! et c’est tous nos vainqueurs!

C’est Myrtil! c’est Lydé! Les reines de nos cœurs!

Comme ils sont provocants! Comme ils sont fiers toujours!

Comme on ose régner sur nos sorts et nos jours!

Faites attention! Observez la mesure!

Ô la mortelle injure!

La cadence est moins lente! Et la chute plus sûre!

Nous rabattrons bien leur caquets!

Nous serons bientôt leurs laquais!

Qu’ils sont laids! Chers minois!

Qu’ils sont fols! Airs coquets!

Et c’est toujours de même, et c’est ainsi toujours!

On s’adore! On se hait! On maudit ses amours!

Adieu Myrtil! Eglé! Chloé! démons moqueurs!

Adieu donc et bons jours aux tyrans de nos cœurs!

Et bons jours!


SOPRANOS : c’est Lindor, c’est Tircis et c’est tous nos vainqueurs
BASSES : Cest Myrtil, c’est Lydé ! les reines de nos cœurs
ALTOS : comme ils sont provocants! Comme ils sont fiers toujours !
LES QUATRE VOIX : Comme on ose régner sur nos sorts et nos jours
SOPRANOS : Faites attention !
BASSES : observez la mesure !
SOPRANOS : Ô la mortelle injure !
TENORS : la cadence est moins lente et la chute plus sûre.
ALTOS : Nous rabattrons bien leur caquets
BASSES : nous serons bientôt leurs laquais !
ALTOS : qu’ils sont laids !
TENORS : Chers minois !
SOPRANOS ET ALTOS : Qu’ils sont fols !
BASSES : airs coquets !
TENORS : et c’est toujours de même,
BASSES : et c’est ainsi toujours !

SOPRANOS ET ALTOS : On s’adore, on se hait ! On maudit ses amours !
BASSES et TENORS : on s’adore !
LES QUATRE VOIX : On se hait
SOPRANOS : on maudit ses amours !

TENORS : Adieu Myrtil ! Eglé, Chloé, démons moqueurs!
ALTOS : adieu donc et bons jours aux tyrans de nos cœurs!
QUATRE VOIX : et bons jours !

Luca Badini Confalonieri